Atelier 1 - 2021 - sujet 1
Assise sur le seuil de sa cabane, emmitouflée dans une vieille couverture, Svetlana contemple l’immensité du plateau sibérien, seule. Elle réchauffe ses mains en serrant un bol de café fumant.
C’est l’été, l’herbe rase de la toundra a repoussé, et pourtant, la température est glaciale ce matin, bien en-dessous de zéro degré. Le rougeoiement tremblant du soleil qui dépasse à peine de l’horizon suffit à réchauffer la vieille femme. Elle est habituée à vivre avec le froid, elle n’a d’ailleurs pas toujours eu de couverture à poser sur ses épaules.
Depuis quarante ans , Svetlana vit ici à un rythme qui n’est pas celui du reste du monde. Le village le plus proche est à plusieurs dizaines de kilomètres, sa cabane voisine avec d’autres identiques, inhabitées maintenant.
Elle a été amenée ici contre son gré, à une époque où les dirigeants de son pays voulaient détruire la liberté. Svetlana était une jeune étudiante, éclatante de vie et d’intelligence. Avec l’inconsciente insouciance de la jeunesse qui découvre son pouvoir sur le monde, elle partageait avec ses amis de longues discussions, rêvant de fraternité et de liberté d’expression.
Un jour, ils sont venus l’arrêter. Les autres aussi. Brutalement. Accusée de diffuser des livres de propagande capitaliste, Svetlana était une ennemie du peuple et sa pensée devait être rééduquée.
Ils l’ont emmenée, enchaînée à même le sol d’un camion, dans un long voyage vers les régions septentrionales du pays, là où les hivers sont si froids que les yeux gèlent : la Sibérie.
Svetlana a purgé ici la peine à laquelle elle avait été condamnée, à la suite d’un rapide procès : Trente années de travaux forcés, à extraire le nickel dans la mine, subissant des conditions extrêmes de froid et de faim, auxquelles peu de prisonniers survivaient très longtemps.
Les années ont passé, les étés succédant aux hivers , Svetlana a survécu.
Et puis un jour, ils n’étaient plus là. Les cris, les gémissements de souffrance, les ordres hurlés à coups de matraque, les aboiements des chiens ont fait place à un silence stupéfait.
Les prisonniers qui étaient encore attendus quelque part sont partis, rejoindre une compagne, une mère, un amour.
Svetlana est restée, elle n’avait plus personne à retrouver.
Elle a allumé du feu, elle a fait de sa cabane de captivité sa maison, la plus proprette possible dans ces conditions de dénuement.
Hier, des touristes sont venus. Cela arrive de plus en plus souvent. Ils ont découvert dans leurs manuels scolaires l’existence des goulags soviétiques, ils ont lu des livres comme ceux qui ont condamné Svetlana, ils ont vu des films de cinéma. Et maintenant , ils viennent prendre des photographies. Svetlana parle peu avec chacun d’eux, elle répond à leurs questions avec quelques gestes désignant la mine désaffectée et leur offre un peu de son café au goût acre. Elle voit bien qu’il n’existe pas de mots suffisants pour raconter le goulag. Ils ne comprennent pas. Alors, elle sourit, se tait et prend la pose.
Ce matin, les corbeaux sont nombreux, posés sur l’herbe courte qui tremble sous le vent matinal, cherchant quelque maigre nourriture en fouillant la terre noire de leurs grand becs.
Svetlana les regarde, elle n’a pas froid, elle trempe ses lèvres dans son café. Une nouvelle journée commence.
Christine
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