Maridan-Gyres

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Atelier 8 - 2024 - Sujet 1

 

 

Les Mots de Montpellier – 2024-8-1

(8 Mai 2024)

 

Ce matin, en vous éveillant, vous entendez ce que pensent les gens...

Qu’allez-vous en faire ?

 

 

Ce matin-là, semblable en tous points à tous ceux qui l’ont précédé, autrement dit désespérément monotone vue la banalité de ma vie, je me réveille sagement et commence ma routine quotidienne.

À 8H20 précises - il faut 20 minutes pour rejoindre le bureau qui ouvre à 9 heures -, me préparant à monter dans ma voiture, je croise le gros Jacky, mon voisin de gauche.

J’entends alors sa voix qui déclame « Toujours prêt à la même heure, ce con de Kévin ! ».

Je me retourne pour lui demander des explications et le vois continuer son chemin tranquillement, sans s’occuper de moi.

Furibard, je me dis que je vais provoquer le dialogue, puis me ravise en m’inquiétant « Ai-je fait ou dit quelque chose qui a pu le braquer contre moi ? ».

C’est inquiétant, il va falloir tirer cela au clair.


Je continue mon chemin, m’arrête à la station-service pour y faire le plein quand j’entends une sémillante conductrice s’écrier en me regardant « Ce crétin vient de faire une queue de poisson pour prendre ma place ! ».
Me préparant à lui répondre je choisis prudemment de me retenir car je sais qu’elle a raison : J’ai profité de son inattention, penchée qu’elle était sur son portable, pour me glisser devant elle à la pompe N°7. Un peu penaud, j’évite son regard jusqu’à me retourner au volant et là, surprise, elle me gratifie d’un sourire resplendissant.

Bizarre autant qu’étrange.

D’autant qu’il ne me semble pas lui avoir vu ouvrir la bouche.

 

Arrivé au Café des Sports, là où je prends mon café-croissant au comptoir chaque matin, je commence enfin à comprendre.

Personne ne parle, l’établissement est plein, et miracle, j’entends les pensées de tout un chacun :

 

  • René, le barman, essuyant les verres : « Tiens, Kévin a cinq minutes d’avance aujourd’hui avec un visage d’ahuri. Il veut ma photo ? Avec lui, je peux toujours courir pour qu’il me donne un pourboire, quel radin ! »
  • Corinne, la caissière du Carrefour Express : « Dans cinq minutes, la boutique ouvre et je vais voir défiler tous ces crétins devant ma caisse. Vivement les vacances... ».
  • André, mon supérieur au bureau, me gratifiant d’un sourire narquois, mais dans sa tête... « Quelle tête il fait le Kévin ce matin, il a l’air perturbé, je vais lui coller un bon paquet de dossiers bien pénibles à traiter, ça va lui changer les idées. »
  • Jean-Paul, le coiffeur : « Kévin est rasé de près ce matin. J’ adore son after-shave. Si seulement il pouvait passer pour rafraichir sa coupe de cheveux en fin d’après-midi, depuis le temps que j’ai envie de lui faire du rentre-dedans ! »

 

Passée la surprise, je commence à analyser la situation créée par cet incroyable super-pouvoir dont j’ai apparemment étonnamment hérité.

Et le constat est alarmant : les français ont quasiment tous des pensées négatives, critiquant leur prochain, leur supérieur, ou l’administration, ou les média, ou les politiques.

Pour les politiques, je dois toutefois reconnaître qu’ils ont leurs raisons car, en regardant les informations – eh oui, j’entends les pensées même à travers les écrans ! – j’ai vite fait de constater que tous ces beaux parleurs pensent le contraire exact de ce qu’ils promettent !

 

Je me mets alors à imaginer quel bénéfice je vais pouvoir tirer de ce nouveau super-pouvoir que les autres ne peuvent deviner et n’ai pas longtemps à chercher : la Drague !

Je vais enfin comprendre le féminin !

 

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Sortant du bureau à 17 heures, j’arpente les rues du quartier commerçant en regardant dans les yeux avec mon plus beau sourire toutes les passantes que je croise.

Autant vous dire que cela ne marche pas de suite, les pensées de ces dames fusent :

 

« Quel lourdingue ce dragueur, non mais t’as vu sa dégaine ... »

« Un coureur de jupons en costume, très peu pour moi, merci »

« Continue à me reluquer comme ça, je vais te dénoncer à me-too »

       

Lorsque soudain j’entends une pensée plus forte que les autres :

 

« Il est vraiment charmant ce bellâtre, j’en ferai bien mon quatre-heures »

 

Je regarde en direction de la pensée, un énorme sourire aux lèvres, et reconnais Jean-Paul, le coiffeur, sorti pour sa pause cigarette...

 

Je rentre rapidement chez moi pour digérer cette épuisante journée, en me demandant toute la soirée quel véritable profit je vais pouvoir tirer de ma nouvelle condition.

 

Le lendemain matin, à 8H20 précises, prêt à monter dans ma voiture, je croise à nouveau Jacky, mon voisin, en me disant qu’« Il va encore penser que je décolle toujours à la même heure, ce con » et là, je vois la tête de Jacky se renfrogner, et son poing se diriger vers ma figure : « De quoi m’as-tu traité, Kévin ? »

 

Un peu groggy, j’arrive à la station-service pour y contrôler la pression des pneus, quand la sémillante conductrice de la veille me grille promptement la place, au risque que j’emboutisse sa voiture.

Surpris, je pense qu’« elle est timbrée cette greluche », elle me réplique aussi sec « La greluche se venge, souviens-toi de ce que tu m’as fait hier, Clovis ! »

 

Entrant au Café des Sports, j’examine la nouvelle situation devant mon café croissant :

Personne ne parle, l’établissement est plein, tout le monde me regarde et entend mes pensées, alors que moi, eh bien, je n’entends plus rien !

 

Je donne rapidement un gros pourboire à René, souhaite bon courage et offre des fleurs à Corinne, remercie André pour sa sollicitude au travail, fait la bise à Jean-Paul qui n’en revient pas, et part au bureau, le cœur léger, et surtout soulagé.

 

Ouf ! Je suis libéré.

 

JeanBat



16/05/2024
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