Atelier 17 - 2023 - Sujet 4, image 1
Mon Dieu ! Mais c’est le logis de ma sorcière maléfique ! Comme il est angoissant ! Les racines tortueuses ressemblent à son esprit ambigu et la toiture échevelée est le reflet même de ses cheveux indisciplinés. Eclairée par les astres venimeux de la voute céleste en colère elle ne sort de cet antre maudit que pour cueillir ces champignons violets toxiques qui poussent à ses pieds. Tels des bras dépourvus de souplesse et de tendresse, les branches racornies qui enserrent le taudis ne reçoivent même pas de chouette, hibou ou autre oiseau nocturne qui pourraient souffler un peu de vie à ce tableau.
Là-haut dans la vigie son esclave lutin scrute de ses yeux de feu les clairières les plus proches. Au sol sur la mousse couleur vomi, quelques écus d’or échappés des poches du dernier prince à cheval qui traversait la forêt pour retrouver sa belle endormie, brillent éclairés par la lune bleue. Vous savez, celle que l’on ne voit que tous les quatorze ans, qui est extrêmement grosse et magnifiquement brillante, grâce à sa position très proche de la terre.
Shunt- 2023.11.15.
S’il voulait retrouver la belle au bois dormant, peut-être le prince charmant s’était-il trompé de forêt ou était-il passé trop tard.
Ben oui !
Depuis longtemps déjà, elle était la sorcière moche au bois réveillée
Point de bonheur autour d’elle.
Et ses matins se ressemblaient toujours.
Lugubres.
La méchanceté coulait dans ses veines.
La brume drapait la petite maison ainsi que la lune et quelqu’un avait dû éteindre les étoiles.
Au sol les pièces d’or avaient disparu et les champignons violets étaient fanés, pfut, désintégrés !
Dans son dos le lutin esclave minable jouait avec ses potions magiques.
D’un coup de pied bien placé elle l’envoya s’abimer près de la cheminée juste au-dessus du chaudron où mijotait un pot au feu de rats.
Raide mort.
Zébus, le chat aux yeux rouges, fidèle compagnon de ses insomnies, cherchait à attraper une chauve-souris aux yeux bleus qui s’enroulait dans ses ailes sublimes.
Son grincement sifflait aux oreilles de la sorcière, lui donnant le mal de mer.
Rien n’allait bien ce matin !
Pourtant l’automne avait bordé l’été qui lui-même avait rangé le printemps au placard des effets d’arrière-saison, et de pied ferme il attendait les frimas qui resserrent les pores des végétaux mais aussi ceux des humains.
Une tristesse abyssale l’enveloppait entièrement.
Ah ! Les humains !
Sacrés mortels !
Aucuns d’eux ne lui était attentifs, aucun d’eux ne lui prodiguait quelques égards que ce soit !
Leur indifférence était pesante, déroutante.
Lourde.
Désespérée de ne trouver chaussure à son pied ou plutôt amant à sa convenance, elle allait bien se venger de l’infortune jetée par sa marraine sorcière à l’aube de sa vie et leur montrer qu’elle était en mesure de pratiquer des choses étranges !
Sa vie était surnaturelle, mais d’une morosité sans nom.
Non mais !
Alors, chaque fois qu’un cueilleur de champignon s’aventurait dans la forêt, craignant qu’on lui dérobe ses champignons violets chargés de pouvoirs, elle lui jetait un sort et le personnage se trouvait aussitôt transformé qui en chêne, qui en saule, qui en pin, qui en sapin…leurs pieds s’enfonçaient dans la terre et leurs orteils devenaient des racines longues, longues, qui allaient dans les profondeurs de la terre pour chercher de l’eau et les nutriments nécessaires à leur croissance végétale.
La forêt était maintenant très touffue et les arbres martyrs se serraient les uns contre les autres.
Un joli petit sapin, qui était originaire du coin bombait son torse et remuait ses racines avec frénésie pour grandir encore dans la douceur de la forêt. Sa marraine la fée aux doigts verts veillait sur lui.
Il jouait des branches bousculant ses compagnons d’infortune pour les réveiller et leur donner envie de bouger, et de se sortir de la galère forestière œuvre de la sorcière.
Il était habité par la magie de Noël ! Rêvait des contes de Noël, de la joie, la douceur et la lumière.
Ce fut d’ abord le chêne qui réagit, laissant tomber ses glands infertiles, fit jaunir ses feuilles brusquement et arracha une à une ses racines et reprit pied sur le sol humide de la clairière où il s’était aventuré pour sa cueillette dominicale.
Ses pieds reprirent vie et ses orteils frémirent dans l’humidité du sous-bois.
Puis le saule aux longues feuilles souples secoua ses branches langoureuses et les posant sur son tronc lisse et argenté s’en servit de levier pour extraire ses racines encore jeunes et tendres.
De la fenêtre de sa maisonnette la sorcière s’aperçut que quelque chose se passait dans son environnement.
Suivie par son inséparable chat lépreux, elle sortit de son logis non sans s’être munie d’une de ses fioles magiques qui transformait les cueilleurs de champignons en arbres pour se rendre compte de ce qui se tramait dans sa forêt.
En arrivant près du joli petit sapin qui brillait de mille feux, elle fût bouleversée : elle poussa un cri d’effroi et manqua de perdre son souffle, voyant ses victimes reprendre forme humaine.
Dans un geste désespéré elle avala la potion de sa fiole et se retrouva transformée en un buisson d’épines, sec, infertile et moche.
La forêt perturbée émit un long gémissement comme une plainte angoissante…
Petit sapin au mieux de sa beauté hivernale, se réjouissait de voir ses congénères reprendre « pied » dans leur vie de mortels, et ne se lassait pas d’admirer leur belle prestance, de se réjouir de leur bonheur retrouvé. La forêt replongeait dans son vrai décor, ses senteurs de sous-bois, sa sensation de plénitude et l’odeur de pinacée caractéristique de noël.
Il réalisa tout à coup que Noël était dans quelques jours et que les citadins adoraient célébrer Noël au pied d’un beau sapin. Déjà dans sa tête de sapin et son cœur tendre de jeune arbre, les chants de noël berçaient avec douceur son existence. Il rêvait des fêtes de noël des rires et des chants d’enfants, de la joie et la bonne humeur des grands ravis de leur cadeaux et du plaisir d’en offrir à leur tour.
Mais il craignait pour sa vie et aurait bien aimé poursuivre celle-ci dans cette forêt qui l’avait vu naître.
C’est alors la fée, sa marraine, émergeant du buisson sec et moche où la sorcière avait terminé sa détestable besogne, surgit et d’un coup de baguette magique, le transporta avec toutes ses racines, dans une école où les enfants préparaient la fête de noël. Quelle fut leur joie de le voir scintiller de tous ses feux ! Ils lui offrirent des boules en verre multicolores, des guirlandes scintillantes et accrochèrent à sa cime une délicate étoile de papier argenté.
Avec ferveur ils lui chantèrent des chants de circonstance, reçurent bruyamment leurs cadeaux et chocolats puis s’assirent en rond à son pied pour écouter avec d’attention la maitresse leur lire l’histoire du petit sapin de Noël.
A peine l’histoire terminée, les enfants regagnèrent leur logis le cœur chaud plein de joie et de belles images, et la fée, qui n’avait pas perdu une miette de la fête, renvoya le petit sapin d’un simple coup de baguette magique dans sa chère forêt, seul endroit où est destinée sa vie.
A l’approche de Noël, à l’occasion d’une promenade en forêt, n’hésitez pas à regarder les sapins, une étoile brille encore pleine d’espérance à la cime de l’un d’eux…
Shunt 2023.12.12
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