Atelier 14 - 2021 - sujet 3
Chat alors !
Sous le regard vigilant d’une surveillante, les petits agités de la maternelle de cette banlieue huppée s’égayaient bruyamment dans l’espace de récréation de leur nouvelle école.
La récente rentrée scolaire semblait se vivre avec agitation et rébellion dans cette classe « d’enfants rois ». Les jeunes élèves pour la plupart issus de familles nanties, ne connaissaient de l’obéissance qu’une très vague notion. Ils n’avaient pas coutume d’être contrariés ou contredits, les parents étant convaincus que les petits anges seraient « perturbés » s’ils perdaient subitement l’impression d’avoir raison et vivaient un sentiment de frustration. Pour ces géniteurs, tous les faits et gestes de leurs chérubins relevaient de l’exploit selon eux. L’admiration béate de leurs ainés en faisait des petits coqs prétentieux fort surpris et dépourvus par le semblant d’autorité que les enseignantes tentaient d’instituer.
Les plus grands, du haut de leurs « presque six ans » n’avaient de cesse que de raconter les voyages de leurs dernières vacances qui rivalisaient d’exotisme et d’aventures.
Le yacht de Papy tombé en panne en pleine mer ; les assaillants pirates qu’il avaient mis en fuite sans l’aide d’aucun garde-côte… Le scooter des mers des cousins qui avaient terminé sa course folle sur une plage idyllique de Papeete… le Falcon de l’oncle Arthur qui avait survolé une base aérienne bien sûr interdite d’approche…mais que la curiosité téméraire du dit oncle avait fait déroger à cette règle. Ils n’ont dû leur survie qu’au courage sans borne de ce dernier ainsi qu’à ses qualités de pilote et à sa parfaite maitrise de l’appareil…
C’est d’ailleurs en rouspétant et en traînant les pieds qu’ils ont intégré leur classe aux claquements de mains de leur professeure. En effet, ils n’en n’avaient pas encore terminé avec la narration des exploits de leurs périples estivaux. Lors de la récréation de l’après-midi, le petit Louis-Charles avait apporté, sans en avoir vraiment demandé l’autorisation, un jeu de quilles trouvé dans le grenier du manoir de l’oncle Gonzague.
Ce jeu aussi désuet qu’inattendu suscita curiosité et nombre de questions parmi les enfants plus habitués aux technologies contemporaines en matière de jeux quotidiens.
Sans attendre, Louis-Charles devenu le centre d’intérêt de moment se fit fort d’expliquer les règles de ce jeu avec lequel son oncle avait remporté de nombreuses victoires nationales et plus sans aucun doute. Les petits « mythos » n’hésitaient pas à étoffer leurs récits de moult détails qui se voulaient convaincants.
Afin de rayonner aux yeux de ses camarades sans modestie aucune, l’enfant disposa les quilles sur un espace bien plan dans le but de favoriser l’équilibre des différents éléments du jeu.
L’air hautain, le regard supérieur, il compta les pas pour respecter la distance réglementaire du lancer de la boule destinée à abattre les pièces. Les plus petits tentèrent d’émettre quelques contestations quant à la distance qui leur semblait trop importante pour leurs petits bras.
Louis-Charles tel un coq sur ses ergots déclara ne pas vouloir modifier l’éloignement, prétendant que son oncle avait triomphé ainsi et même de beaucoup plus loin…
Il s’octroya également le rôle de la tenue des comptes de points. En effet, lui, il savait déjà lire, compter et écrire les chiffres.
Alors que chacun, aligné sur la marque de départ, était déjà dans une concentration extrême, un intrus bondit au milieu des quilles et se mit à jouer selon ses propres règles.
La colère de Louis-Charles éclata ! Blessé dans son orgueil d’organisateur de jeu, il se mit à hurler après le petit chat venu jeter le trouble dans cette compétition.
Le félin, voisin de la cour de récréation était accoutumé aux cris et autres braillements des enfants. Il continua à sauter au milieu du jeu dont les pièces roulaient à droite et à gauche pour le grand bonheur du matou.
Le jeune garçon était irrité au plus au point par cet animal qui lui faisait perdre la face aux yeux de ses camarades riant à gorges déployées.
Il ne comprenait pas, lui que personne ne contrariait jamais, lui pour qui ses désirs étaient des ordres, ce chérubin que tout le monde admirait et encensait était mis en échec par un greffier insolent qui faisait fi de ses ordres et autres imprécations.
L’enfant chercha autour de lui un improbable projectile pour atteindre et faire déguerpir l’animal.
La difficulté vint du fait que dans une cour de récréation d’école maternelle, aucun objet susceptible d’être dangereux n’est censé être à portée de main. D’ailleurs, cela devint inutile car le quadripède facétieux, lassé de son jeu arriva à côté de Louis-Charles en se frottant contre sa jambe, ronronnant et réclamant des caresses. La scène fit redoubler le rire les petits écoliers qui se tapaient sur les cuisses tellement la situation devenait cocasse.
C’est alors que la maitresse signifia la fin des réjouissances et remarqua sans vraiment comprendre, les yeux brillants du petit meneur de jeu lors de son retour en classe.
Son interrogation muette n’eut pas de réponse à l’instant mais force lui fut de constater que le jeune élève se fit plus discret les jours suivants cette observation. Son arrogance tout enfantine qu’elle fut, avait perdu de sa superbe.
C’était comme si quelqu’un ou quelque chose lui avait donné une leçon…ce qui rassura un temps … la jeune enseignante. Cet enfant est peut-être meilleur qu’il ne veut bien le laisser paraître pensa-t-elle. Gardons espoir ! L’avenir nous le dira rapidement sans aucun doute.
KIKA 20. 09 .2021.
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