5 juin 2013
Trois personnages - Huis clos - Dans un refuge de montagne - Présentation des personnages – description du lieu - Le point d’orgue – La chute
Dans le cimetière de Barcelonnette, dans les Alpes du Sud, l’atmosphère est pesante. Un long cortège sombre suit silencieusement, têtes baissées, le cercueil de Louise vers sa dernière demeure.
C’est le décès de leur mère qui amène Jules, Sophie et Marc à être réunis après de longues années pendant lesquelles chacun était absorbé par sa propre vie. Les trois frères et sœur décident ensemble de partir le lendemain matin pour un refuge de montagne.
L’aîné, Jules, homme d’affaire aux dents longues, s’est installé aux Etats-Unis après ses études de marketing. Il était la réussite parentale, Louise et Jean étaient toujours fiers de parler de lui, leur fils aîné avait satisfait leur ambition, ils se comprenaient, ils avaient les mêmes valeurs.
Sophie par contre avait donné du fil à retordre à ses parents. Pas brillante à l’école, elle avait vécu dans sa bulle, dans son imaginaire, dans son monde à elle. Curieusement, alors qu’elle était plutôt cancre sur les bancs de l’école où elle s’ennuyait, au fil des ans elle avait beaucoup lu et s’était instruite avec une curiosité avide. Elle était devenue une femme cultivée, intellectuelle.
Marc, le benjamin, n’en avait rien eu à faire des attentes du père et de la mère, d’ailleurs en avaient-ils réellement eu le concernant ? Il ne s’était jamais soucié des convenances, du paraître, du « qu’en dira- t-on ». Marc était entier, authentique et artiste. Ce qu’il était, ce qu’il pensait, ce qu’il créait avait toujours été dérangeant pour ses anciens.
Le temps avait filé, la fratrie avait maintenant la quarantaine, à mi chemin de leur vie, ils se retrouvaient dans ce vieux refuge, complices par leurs souvenirs d’enfance et étrangers par ce qu’ils étaient devenus.
Ce chalet était à l’abandon, la dernière fois qu’ils y étaient venus, ils étaient adolescents. Toiles d’araignées et poussières recouvraient les meubles spartiates, quelques bouteilles et boîtes de conserves vides témoignaient de lointains passages de randonneurs. Le refuge n’était plus entretenu depuis belle lurette, il n’apparaissait plus sur les cartes topographiques récentes.
Jules, Sophie et Marc étaient là, sans les belles sœurs et beau frère, sans les enfants, sans autre randonneur de passage entravant leurs conversations personnelles. Leurs échanges étaient sereins, loin des désaccords et querelles d’autrefois, peut-être l’absence définitive de leurs deux parents y était-elle pour quelque chose ? Chacun fouillait sa mémoire et racontait les bons souvenirs, les détails cocasses des réunions de famille, les bêtises avec les cousins et les voisins du quartier…
Au cours de cette soirée décontractée, Marc annonça à son frère et sa sœur qu’il avait découvert au fond du grand tiroir du meuble coiffeuse de maman, un journal intime, qu’il n’avait ni lu ni ouvert, et qu’il avait ici avec lui…
Jules et Sophie restèrent silencieux, bouche bée, estomaqués par cette nouvelle inattendue.
- Nous ne devons pas le lire, nous n’en avons pas le droit, un journal intime c’est personnel, c’est secret et ça doit le rester ! Dit Jules, habitué à prendre des décisions et à commander.
- Je ne suis pas de ton avis, rétorqua Marc. En effet, au moment où on l’écrit, le journal n’est pas destiné à être lu, mais le lecteur bienveillant est espéré dans un autre temps. Une écriture intime a pour intention de justifier le déroulement de sa vie, de dénoncer une injustice, de rétablir une vérité.
- Sophie rajouta : Marc a raison ! Quantité d’écrivains ont été diaristes, Stendhal, Georges Sand, Pierre Loti, André Gide, Raymond Queneau, Simone de Beauvoir, Anne Frank pour ne citer que quelques-uns. L’autobiographie a pour mission de témoigner, de lever des zones d’ombre, de transmettre l’histoire d’une vie.
- Jules : Perso je trouve indécent votre curiosité ! Notre mère mérite le respect, même si elle n’est plus là. Et puis, toute vérité n’est pas bonne à dire, ni à découvrir !
- Marc : Libre à toi Jules, personne ne t’oblige à en prendre connaissance, Sophie et moi le lirons tout à l’heure, lorsque tu iras dormir.
- Jules : je constate que je suis seul contre deux, la majorité l’emporte ! Pauvre mère, à l’heure qu’il est, elle doit se retourner dans sa tombe !
Marc sortit le journal de son sac à dos. Il l’ouvrit. Glissée entre la couverture et la première page, ils découvrirent une enveloppe fermée sur laquelle étaient écrits leurs trois prénoms et la date du 2 juin 2000. C’était l’écriture de Louise. Marc l’ouvrit fébrilement, il en sortit trois pages manuscrites. Il en fit la lecture à haute voix :
Vendredi 2 juin 2000
Mes chers enfants
Jean nous a quitté l’année dernière. Il était un homme bon, un mari aimant et bienveillant, un papa attentionné et un grand-père gâteux. Il travaillait pour le bien être de sa famille, on n’a jamais manqué de rien, nous étions sa raison de vivre .
Ne sachant quand viendra ma dernière heure, je tiens à vous informer tous les trois sur certains aspects de ma vie restés secrets de mon vivant.
Alors que je fréquentais Jean depuis trois ans et allais me marier à lui en juillet 1971, début juin je suis allée à Paris une semaine, aider ma cousine Clotilde à préparer une exposition temporaire dans la nouvelle galerie qu’elle venait d’ouvrir à Montmartre.
J’avais à peine dix-huit ans, j’arrivai de province, Clotilde de dix ans mon aînée me fascinait, elle était extravagante et libre, pétillante et volontaire, elle avait l’aisance relationnelle et le bagout. Les deux premiers jours, je l’ai assistée à tous les préparatifs et à la mise en valeur des huiles et des aquarelles. Le vernissage était fixé au vendredi. Ma cousine m’avait prêtée une robe de folie furieuse pour l’occasion. Je ne me reconnaissais pas dans le miroir, j’étais transformée, je m’étais muée, j’étais féminité, glamour, mystère…
Les invités arrivaient, nombreux, élégants, érudits de l’art, professionnels. Avec une assurance que je n’avais jamais eue auparavant, j’allais et venais dans cette foule, Clotilde me présentait à toutes ses connaissances.
Je fis la rencontre de Mike, américain, écrivain, amoureux de l’art. Sa voix grave et son accent étaient tout aussi charmants que son élégance décontractée. Constamment en déplacements professionnels, sa vie était faite d’imprévus, de découvertes, de rencontres atypiques. J’étais curieuse, il me répondait avec force de détails et d’anecdotes. Les jours suivants il repassa me voir à la galerie. Chaque soir il me proposa une découverte inédite de Paris, dont il connaissait les beautés et curiosités hors des sentiers battus.
La veille de mon départ, l’inéluctable arriva, notre complicité intellectuelle et amicale fit place à une inoubliable rencontre sensuelle raffinée et délicate…
Le lendemain je pris le train pour rejoindre les miens, chamboulée par l’intensité des moments vécus avec Mike. Je lui avais parlé de mes fiançailles et proche mariage avec Jean. Il m’avait confié ce qu’il ressentait pour moi, il m’avait avouée sa certitude qu’un tel amour ne se présentait qu’une fois dans la vie. Il m’avait laissée libre de choisir entre Jean et lui…
J’eu le sentiment de devenir folle, les jours suivants j’étais si déchirée que j’en tombais malade, incapable de prendre une décision, par peur de faire du mal à Jean qui m’aimait tant. Les jours, les semaines passaient et la date du mariage arrivait. Mon mal être mental et physique fut accentué par les premières nausées et le retard de règles annonçant l’’enfant de Mike.
J’eu la lâcheté de ne pas avouer à Jean que sa promise était enceinte d’un autre homme dont elle était follement amoureuse.
Quelle bassesse vis à vis de moi-même également ! De quoi avais-je peur ?
Jean a été un homme formidable et travailleur, il vous a élevé tous les trois avec amour, même s’il était peu expansif. Je n’étais pas la femme qu’il méritait, je ne voulais pas gâcher ses joies paternelles, du moins c’était mon excuse !
Mike et moi sommes restés connectés. Pas une seule journée pas une seule nuit sans que je pense à lui et inversement . Il a continué à voyager et à écrire. Inlassablement, il a posté à mon intention à l’adresse de Clotilde un exemplaire de chaque carnet de voyage, de chaque nouvelle, de chaque roman, accompagnés de photos de lointaines contrées. Ma cousine m’envoyait ensuite de Paris tous ces trésors. Ces lectures et ces photos me transportaient, secrètement je vivais une vie parallèle et invisible.
Mike m’a été fidèle, il ne s’est jamais marié, la vie n’a pas permis nos retrouvailles, il est mort d’un accident de jeep quelques semaines avant le décès de Jean, mon époux, votre papa.
Mike ignorait qu’il était le père de Jules.
Je vous embrasse tous les trois.
Maman
Nadège
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